• 27 septembre 2016
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Avec le digital, tout le monde formateur ?

Loïc Le Gac

Pas plus que tout le monde n’est devenu journaliste ou musicien ou encyclopédiste, le digital ne risque de transformer tous les salariés en formateur. Le digital modifie notre façon de penser les compétences, les organisations, les destins. Le digital learning est un des outils qui accompagnent ces transformations. Il n’est pas, pour autant, une baguette magique.

Selon Aristote, ce qui relève de mon expérience pure, de la répétition de certains gestes, ce que l’on résume comme étant mon savoir-faire ou mon savoir-être, ne peut se transmettre tel quel, pas plus que ma vie intérieure ou mes émotions. Il faut, au préalable, extraire de cette expérience un jugement, une loi, une démarche extérieure que je pourrai ensuite transmettre.

Plongeons-nous quelques siècles en arrière (eh oui, on n’a rien inventé…), dans l’oeuvre d’Aristote, et, plus précisément dans la Métaphysique. Ce cher Aristote se pose la même question que nous : qu’est-ce qu’un savoir-faire tiré de l’expérience et comment peut-on faire pour le transmettre ?

Voici sa réponse :

« L’art apparaît lorsque, d’une multitude de notions expérimentales, se dégage un seul jugement universel applicable à tous les cas semblables. »

Aristote

Autrement dit, ce qui relève de mon expérience pure, de la répétition de certains gestes, ce que l’on résume comme étant mon savoir-faire ou mon savoir-être, ne peut se transmettre tel quel, pas plus que ma vie intérieure ou mes émotions. Il faut, au préalable, extraire de cette expérience un jugement, une loi, une démarche extérieure que je pourrai ensuite transmettre.

Pourquoi cette replongée dans la philosophie ? Parce qu’il semble que l’analyse d’Aristote reste pertinente et riche d’enseignements. Elle nous incite à la prudence dans l’application sans discernement des outils digitaux.

Equiper, comme certains le recommandent, les salariés du nécessaire pour se filmer eux-mêmes afin qu’ils partagent leurs savoir-faire professionnels risque de n’avoir aucune efficacité. Avant tout, il faut  impérativement faire le travail d’extraction, de formalisation, de ce qui peut-être partagé dans leur expérience. C’est là tout le rôle d’un médiateur, d’un formateur. Sans cela, on obtient un savoir qui n’a de valeur que pour celui qui le détient et non celui qui le reçoit. C’est un peu comme si Djokovic vous expliquait comment retourner la deuxième balle d’Andy Murray, alors que vous ne faîtes pas partie, je suppose, des 15 meilleurs joueurs mondiaux de tennis.

On peut aller encore plus loin dans la lecture d’Aristote. Réduire la formation au simple fait de filmer son geste, c’est même réduire la personne à ce geste sans l’intelligence qu’il y a derrière. On n’est pas loin de la vision des ouvriers du XIXème siècle et aux antipodes des promesses de progrès et de liberté du digital.
Un peu de sagesse ne fait pas de mal parfois. Garder en tête l’importance de la médiation dans l’acte de transmettre des savoirs, c’est aussi défendre une vraie vision du travail et du savoir, valorisante pour chacun.


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