• 7 juin 2017
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L’apprentissage des maths éclairé par les neurosciences

Loïc Le Gac

Sommes-nous tous égaux face au processus d’apprentissage ? A l’heure où le Digital Learning s’intéresse de près aux neurosciences afin de proposer des parcours de formation adaptés à chaque apprenant, il est légitime de s’interroger sur la manière dont notre cerveau fonctionne.

Dans son ouvrage «La bosse des maths», Stanislas Dehaene met en lumière les mécaniques opérées dans le cerveau pendant l’apprentissage d’une matière aussi élémentaire que les mathématiques. Résumé.

Selon la dernière enquête PISA (Program for International Student Assessment) conduite par l’OCDE, près de 23% des lycéens de 15 ans sont peu performants en mathématiques alors que la même proportion se sort avec brio des tests. Cette répartition est-elle le fruit d’une inégalité innée dans notre rapport au nombre ou bien le fruit de la qualité de l’apprentissage ? Existe-t-il, comme on le croyait au XIXème siècle une « bosse des maths » ? C’est la question posée par le neuroscientifique Stanislas Dehaene dans son ouvrage paru en 1997 et réactualisé en 2015. Que peuvent nous apprendre les avancées de l’étude de notre cerveau sur ce, qui selon Platon, était le plus haut degré de la connaissance : le sens du nombre ?


Les animaux savent compter

La première découverte surprenante réside dans le fait que cette fonction noble que sont les mathématiques n’est pas le propre de l’espèce humaine : même les animaux savent compter. Avec le recul cela semble assez logique. Savoir discriminer la source la plus abondante de nourriture, de partenaires sexuels, ou le nombre de prédateurs est une compétence utile pour la survie. Dans les années 50, le physiologiste américain Françis Mechner eut l’idée de soumettre des rats à un protocole d’expérience original. Pour obtenir sa récompense un rat devait appuyer sur un levier après avoir appuyé un certain nombre de fois au préalable sur un autre levier. S’il cessait d’appuyer trop tôt sur le premier levier il était sanctionné. Au final, après un certain nombre de répétitions, le rongeur appuyait le bon nombre de fois sur le levier pour obtenir sa récompense : des céréales. Il est à noter que le taux d’échec du rongeur était proportionnel au nombre d’appuis demandés. Plus le nombre fixé était grand, plus le rat se trompait.

De telles expériences ont été réitérées sur de nombreuses espèces, démontrant que le sens de l’arithmétique était bien présent chez l’animal. Celui-ci, ne s’arrête pas à la capacité de dénombrer, mais va jusqu’à l’addition ou la comparaison. On a ainsi présenté à un chimpanzé un quart de pomme et un verre à moitié rempli en lui demandant d’y associer un troisième objet à choisir parmi une représentation d’un cercle et celle des trois quarts d’un cercle. Ce dernier  choisissait les trois quarts de cercle dans une proportion que le hasard ne pouvait pas expliquer. De manière encore plus surprenante, des chercheurs ont proposé à un primate de choisir parmi deux ensembles de morceaux de chocolat : le premier était constitué de deux tas de quatre et de trois morceaux, le seconde d’un tas de cinq morceaux et d’un morceau isolé. Le singe sans hésiter a choisi l’ensemble comprenant sept morceaux !

Ces capacités restent néanmoins limitées. Elles nécessitent un temps d’apprentissage bien supérieur à celui dont aurait besoin un enfant humain et, surtout elles sont caractérisées par ce que les neuroscientifiques ont appelé un « effet de distance ». Plus l’écart entre deux quantités à comparer est faible, plus le taux d’erreur de l’animal est fort. Tout se passe comme si les animaux disposaient d’un système de comptage performant ; mais imprécis.


Arheu + Arheu = agheu

Qu’en est-il du bébé humain ? Il paraît, à première vue, difficile de tester le sens du nombre chez des nouveaux nés de quelques jours ou même chez des bébés de six mois, ceux-ci ne sachant pas encore parler. Pour déterminer si le sens du nombre existait chez les petits enfants les chercheurs ont eu recours à leur attrait pour la nouveauté. Lorsque l’on présente plusieurs fois de suite un même objet à un enfant il finit par se lasser et par détourner son attention. En 1981, deux chercheurs, Strauss et Curtis, eurent l’idée de présenter à des nourrissons sur les jambes de leur mère des séries de diapositive pendant qu’une caméra enregistrait où portait leur regard. Les diapositives comportaient des photographies en couleur d’objets de la vie courante dont le nombre était constant. Petit à petit l’attention des enfants diminuait. Puis, subitement, au lieu de présenter deux objets, les diapositives comportaient trois objets avec pour effet de réveiller immédiatement l’intérêt des nouveaux nés.

Le même travail sur la surprise a permis, dans les années 90 (Karen Wynn) de mettre en évidence la capacité qu’ont les enfants de six mois de faire des additions ou des soustractions. Par contre les capacités numériques des bébés ont leurs limites. Comme l’animal, le jeune enfant s’il sait discriminer des quantités de deux, trois, voire quatre, a les plus grandes difficultés au-delà. Comme le rappelle Stanislas Dehaene,
« si les compétences des jeunes enfants sont réelles, elles n’en sont pas moins restreintes aux aspects les plus élémentaires de l’arithmétique. ».

Cette limitation des compétences numériques innées aux trois premiers chiffres a laissé sa trace dans les systèmes de notation numérique des différentes civilisations. La notation romaine en est un bon exemple. De un à trois les symboles employés reviennent à représenter directement la quantité sous la forme de bâtonnets : I, II, III. Au-delà, ce principe de représentation s’arrête et se complexifie : IV, V, ou encore X pour 10 et C pour 50. Comme le montre Georges Ifrah, historien du nombre, on retrouve ce même découpage dans différentes civilisations. Les contours de base de cette capacité arithmétique se retrouvent chez l’adulte. Nous avons pour principales caractéristiques, comme le montrent de nombreuses expériences, d’être particulièrement performants pour dénombrer les quantités entre 1 et 3.

Nous sommes aussi victimes de l’effet de distance : plus deux nombres sont proches plus nous avons de mal à les comparer. Loin d’être le fruit d’un apprentissage de notions abstraites, notre première appréhension des nombres a pour base un organe spécialisé dans le cerveau. Cette base neuronale s’est d’ailleurs implantée en colonisant d’autres fonctions. Tout se passe comme si : « l’extension du réseau numérique se faisait au prix d’un recul des cartes corticales environnantes consacrées à la couleur, à la forme, et à la position des objets. », indique Stanislas Dehaene. Les liens entre le nombre et notre perception de l’espace sont effectivement étroits. Nous avons d’ailleurs pour réflexe d’organiser les nombres, dans notre représentation mentale, sous la forme d’une règle ou d’un ruban, gradué, sur lequel les chiffres puis les nombres s’alignent de manière croissante. Plusieurs études ont également montré que cette graduation n’était pas régulière, mais avait tendance à se compresser lorsque l’on allait vers les nombres plus grands. Cette représentation est culturellement sensible, par ailleurs, la règle va de gauche à droite dans les pays occidentaux et s’inverse dans les cultures où l’on écrit de droite à gauche.

«Pour 5 à 10% des gens, l’idée que les nombres ont des couleurs et occupent des positions très précises dans l’espace, loin de paraître absurde, est une intime conviction. »

La compréhension du sens du nombre et de ses bases neuronales ne permet pas pour autant d’appréhender la compétence indispensable à l’âge adulte qui est celle de compter et de faire des opérations. Le passage à ces compétences plus évoluées est vraisemblablement le fruit d’un mélange entre des compétences innées et de l’acquis. Le petit enfant sait spontanément dénombrer des objets et saisit l’importance de compter dans l’ordre. Par l’expérience il apprend à faire le lien entre l’action de dénombrer et le nombre total d’objets dans un ensemble. Fort de ces nouvelles compétences il va, par la suite, explorer un certain nombre de techniques, d’algorithmes pour traiter les opérations numériques parmi lesquelles il sélectionnera au fur et à mesure les plus efficaces. Ainsi, dès l’âge de cinq ans un enfant est capable de réaliser une addition en enchaînant des séquences de comptage. Pour calculer deux plus quatre il compte d’abord jusqu’à quatre puis il avance de deux. Et ce processus est déjà optimisé. Il sait démarrer directement avec le plus grand des deux nombres et ne compter que le plus petit. « quatre, cinq, six ». On a pu démontrer la réalité de cet usage en chronométrant des enfants : le temps de calcul croît en fonction de la taille du plus petit nombre.

Cette première approche du calcul, intuitive, est bouleversée par l’école, et notamment par l’apprentissage des tables de calcul. Le temps de comptage se transforme en un temps d’accès à de l’information verbale : les tables apprises par cœur. Hors ces tables sont difficiles à mémoriser pour le cerveau humain. Leur logique apparaît parfaite pour un ordinateur dans  lequel chaque information est autonome. Ce ne l’est pas pour notre cerveau dont la force réside dans la mémoire associative, si chère à Proust et sa madeleine. Lorsque nous faisons appel à 8×7= 56, dans le même temps notre cerveau convoque les résultats associés : 63, 54 ou 48. Cela est à l’origine de nos erreurs et de notre lenteur de calcul. D’une manière générale l’enseignement des mathématiques va multiplier la mémorisation de routines indépendantes les unes des autres, au détriment du raisonnement. La véritable optimisation de nos performances résiderait au contraire dans la mise en connexion de ces compétences. De ce point de vue on peut penser que « L’usage raisonné de la calculatrice, en libérant l’enfant des aspects fastidieux et mécaniques du calcul, peut lui permettre de se concentrer sur le sens », affirme Stanislas Dehaene.


Les maths : un don ?

On peut opposer à cette vision d’un « cerveau arithmétique » en construction, celle de la compétence mathématique innée. En effet comment ne pas douter devant les prouesses de certains prodiges en mathématiques et en calcul mental ? Ainsi le jeune Michaël, autiste, incapable de faire au revoir de la main est capable de dire en moins d’une seconde si un nombre de trois chiffres est premier. Les mathématiques auraient-ils une base génétique ? C’était au XIXè siècle la piste d’explication avancée par l’inventeur de la phrénologie, Franz-Josef Gall. Pour celui-ci le cerveau se divise en fonctions mentales distinctes et localisées. La bosse des maths serait juste au-dessous de l’œil et une simple palpation crânienne permettrait de déterminer si vous avez ce don, ou non. Plus récemment on a voulu voir dans l’hypertrophie de certaines zones du cerveau chez les musiciens la preuve de l’héritabilité de l’oreille absolue. On peut surtout y voir que l’apprentissage précoce de telle ou telle discipline façonne le cerveau. Bien loin de l’inné ce serait là la preuve de la plasticité cérébrale, de la capacité inouïe de notre cerveau à s’adapter. Dans les années 60 on a également tenté de trouver la preuve des bases génétiques du talent mathématique en faisant des études sur des jumeaux. Là encore les biais méthodologiques sont multiples. Les jumeaux reçoivent bien souvent le même enseignement et le même accompagnement parental, ce qui vient relativiser l’apport des gènes qu’ils ont en commun. De plus de vrais jumeaux ne font pas que partager le même ADN, ils partagent également le même milieu de croissance : le placenta.

Il apparaît plus vraisemblable, en ce qui concerne les mathématiques, que « la fonction crée l’organe ». Il existe sûrement des bases biologiques et innées qui favorisent les uns ou les autres, mais c’est surtout le cercle vertueux d’un apprentissage réussi qui conditionne le fait que nous soyons habiles dans les arcanes du calcul et du raisonnement abstrait. La facilité engendre la facilité et donne confiance en soi. C’est bien pour cela qu’il est essentiel de ne pas décourager les jeunes enfants face aux premières difficultés et de ne pas leur asséner le traditionnel « tu n’es pas matheux. », auquel on ajoute en règle générale qu’ils tiennent de leur mère…


Les mathématiques ordonnateurs du monde ?

Comment fonctionne au juste notre machinerie cérébrale lorsqu’elle s’adonne au calcul ? On a vite fait de comparer notre cerveau à ce que nous connaissons dans notre environnement proche comme outil de calcul et de traitement de l’information : l’ordinateur. Ils n’ont pourtant pas grand chose en commun. Une des caractéristiques de nos capacités de calcul est « l’effet de distance » : plus des nombres sont proches plus nous mettons de temps à les comparer. Aucune machine informatique ne présente ce type de défaut. Pour un ordinateur ou une calculatrice, les nombres sont tous de la même complexité et comparer 5 à 6 ne prend pas plus de temps que de comparer 8 à 120 000. De ce côté tout se passe comme si notre cerveau était une machine analogique, comme une balance. Si vous mettez un poids de 20 kilos sur le plateau d’une balance et un poids d’un kilo de l’autre, la balance va immédiatement pencher du côté des 20 kilos. Si vous remplacez le poids de 20 par un poids de 2 kilos, le plateau de la balance mettra plus de temps à pencher du côté du poids le plus élevé.

Nous naissons avec un certain nombre de capacités arithmétiques que nous partageons tous et même, pour partie avec les animaux. Ces capacités conditionnent notre sens « naturel » du nombre. L’univers des nombres entiers nous est intuitivement accessible. Le passage aux nombres réels, par exemple, nécessite un apprentissage et la mobilisation de nouvelles zones cérébrales. Les mathématiques ne sont certainement pas une capacité humaine abstraite et pure comme l’imaginait Platon, elles ont bien un substrat dans les neurones de notre cerveau, et comme beaucoup d’activités humaines, elles avancent par tâtonnement. Il faut les imaginer ainsi que le reste de notre savoir comme une construction lente et patiente d’un édifice de plus en plus complexe et éloigné de nos compétences de base.

Il reste la question posée par Albert Einstein en 1921 : « Comment se fait-il que la mathématique, qui est un produit de la pensée humaine et indépendante de toute expérience, s’adapte d’une si admirable manière aux objets de la réalité ? ». On peut esquisser une première explication. Les mathématiques, au même titre que notre cerveau, sont le fruit d’une lente évolution par essai/erreur. Au lieu de supposer une réalité abstraite qui s’adapterait par miracle au monde réel, il faut envisager les mathématiques comme le fruit d’une adaptation aux structures du monde réel. De manière plus précise on peut imaginer que les structures de l’univers conformes aux mathématiques sont celles que notre regard nous permet de voir et d’appréhender.


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